(Dans une précédente note intitulée « La partitocratie menace-t-elle l’UE ? » (1) nous avions rélevé le rôle croissant joué par les partis politiques dans le jeu institutionnel européen. Nous poursuivons ici cette analyse)
À la veille de l’élection du Président désigné de la Commission par le PE, une fâcheuse incertitude affecte l’issue de ce scrutin.
Les media rapportent - en détail - les tractations croisées qui seraient menées entre les groupes politiques qui composent l’assemblée issue du vote des 6/9 Juin 2020.
Le traité prévoit, à juste titre, que cette élection doit recueillir une majorité exceptionnellement large, celle de la moitié du nombre des parlementaires (soit 361 sur 720).
Ceci implique - toujours dans l’esprit du traité - que le Parlement en tant qu’Institution soit capable de faire preuve d’un esprit de responsabilité, collectif et constructif.
Le vote étant individuel et secret, il appartient à chaque parlementaire de se déterminer selon cet esprit.
Dans une certaine mesure, le rôle des groupes politiques devrait être de guider ce vote et de favoriser une issue claire et nette : en l’occurence, l'élection ou rejet du candidat proposé par le Conseil européen.
Or, tel n’est manifestement pas le cas : les « négociations », tant entre les groupes qu’à l’intérieur de ceux-ci, semblent assez confuses et tendent à déborder sur toute une série d’autres questions sans rapport direct avec l’élection du Président de la Commission.
On assiste à une sorte de marchandage complexe et désordonné qui ressemble fort aux pratiques en vigueur dans certains parlements nationaux - mêlant orientation des politiques communes, vagues considérations idéologiques, répartition des postes, hubris personnels, .... Tout ceci étant entretenu par les pléthoriques appareils administratifs partisans (2).
De plus, cette situation est favorisée par la candidate en lice elle-même qui s’est directement, activement et publiquement engagée dans ce type de « négociations » avec les groupes (et sous groupes) politiques (ainsi d’ailleurs, à un autre niveau, qu’avec les autorités nationales). Ce faisant, elle est amenée à prendre des engagements (éventuellement peu conciliables entre eux) susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de son Institution qui est pourtant la pierre angulaire du système institutionnel communautaire.
Souhaitant légitimement devenir un « vrai » parlement, il était inévitable que le PE soit influencé par les pratiques parlementaires nationales. Pour autant, il n’était peut-être pas opportun de reproduire les excès souvent décriés des luttes ou des compromis inter-partisans qui caractérisent souvent ces pratiques. À cet égard, la concomitance avec la situation présente dans l’un des grands États membres illustre bien ce danger.
Ajoutons que l’interventionnisme des partis/groupes politiques européens ne se limite pas à la seule élection du Président de la Commission mais s’étend à l’ensemble de la procédure de mise place de cette Institution : choix des commissaires, organisation interne, répartition des portefeuilles, …
Plus largement, et sous divers aspects, la mise en oeuvre de cette procédure tend à s’écarter de plus en plus de l’esprit - voire de la règle - des dispositions du traité relatives à l’équilibre inter-interinstitutionnel comme il était relevé dans une précédente note sur « La nomination de la prochaine Commission : risques et enjeux »(3).
Et on peut s’interroger sur les conséquences de la poursuite de ces dérives dans une UE élargie à 36+ États membres au sein de laquelle le spectre des partis politiques risque de ressembler à un ingérable labyrinthe.
Pour leur part, les citoyens-électeurs de l’UE ont plutôt bien accompli leur tâche en reconduisant au PE une majorité pro-européenne - tout en adressant un sérieux avertissement aux dirigeants européens et nationaux en élisant aussi un fort contingent de parlementaires eurosceptiques (ainsi qu’il était relevé dans la note « Le nouveau PE : une majorité pro-européenne unie et efficace ») (4)
On connaitra dans quelques jours puis semaines l’issue de l’ensemble de la procédure. Dans la période critique qu’elle traverse, l’Europe ne peut guère se payer le luxe d’une « crise politique » interne comme c’est hélas le cas dans plusieurs États membres. Les citoyens-électeurs européens ont confusément le sentiment que l’UE leur apporte - au delà des États - une garantie supérieure d’ordre, de stabilité, de sécurité et de défense de leurs intérêts. Ce n’est certainement pas le moment de les décevoir.
Jean-Guy Giraud
15 - 07 - 2024
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(2) Pour une illustration - très détaillée - de ces négociations, nous renvoyons à des sites d’information spécialisés tels que Politico-Bruxelles.
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