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LE PARQUET EUROPÉEN S'ATTAQUE À LA FRAUDE


Le Parquet Européen (European Public Prosecutor Office - EPPO) vient de publier son rapport annuel pour 2024 (1) .

 

En activité depuis 2019, ce très jeune organe de l’UE a été créé sur la base de l’article 86 TFUE relatif à la « coopération judiciaire en matière pénale ». Faute d’accord unanime des États membres, le Parquet a dû être instauré - tardivement - via une procédure de « coopération renforcée » à laquelle participent à présent la quasi totalité des États (à l’exception du Danemark, de l’Irlande et de la Hongrie).


Le Parquet a pour mission de « combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». Il est compétent pour « rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices » de ces infractions.


C’est un organe indépendant - tant vis à vis des gouvernements nationaux que des Institutions et organes de l’UE. Il a son siège à Luxembourg qui abrite également deux autres organes de type juridictionnel : la Cour de justice et la Cour des Comptes.


Il fonctionne comme un bureau unique doté d’une structure décentralisée à laquelle participent  les procureurs européens délégués dans les États participants (environ 170 en 2024).


Ceux-ci sont incorporés dans les systèmes judiciaires nationaux mais ne reçoivent leurs instructions que du siège du Parquet Européen et demeurent indépendants des gouvernements comme des autorités judiciaires nationales. Ils mènent leurs enquêtes et leurs poursuites conformément au droit pénal et au droit de procédure pénale de leurs pays respectifs. Ils portent leurs affaires en jugement devant les juridictions nationales. De fait, ils doivent donc opérer dans le cadre de 24 systèmes différents


Doté d’une « compétence obligatoire » - cad limitée aux infractions affectant les seuls intérêts financiers de l’Union - le parquet concentre ses activités sur des affaires transfrontières complexes portant sur des dossiers de criminalité financière et économique élaborée (par exemple en matière de TVA).


Il peut faire appel à l’assistance d’autres organes européens comme Europol, Olaf, Eurojust ou la Cour des Comptes - ainsi qu’aux services compétents de la Commission. Il coopère également avec de nombreux partenaires extra européens (organisations internationales et États tiers).


En 2024, le Parquet comptait plus de 2500 enquêtes en cours portant sur un montant estimé de dommages au préjudice de l’UE de près de … 25 milliards d’euros (dont 50% relatifs à la fraude TVA). 


Dans son introduction au rapport 2024, la procureure en place depuis l’origine du parquet - Mme Laura Codruta KÖVESI - souligne les points suivants :


  • la découverte d’un « continent de crime » : "A few years ago, the general expectation was that the European Public Prosecutor’s Office (EPPO) would not have much to do. It was designed small to deal with what was commonly considered a ‘niche’ criminality. After more than three years of activity, uncovering a new continent of crime, the EPPO’s capacity needs to be adapted to reality."

  • le déni initial des autorités :  "There have always been more crimes affecting the financial interests of the European Union than publicly admitted. I still remember the instinctive denial among key stakeholders in reaction to our first workload statistics, in essence: the EPPO numbers cannot be true!"

  • la criminalisation de la fraude :  "EU fraud has become highly attractive to very dangerous criminals, partly due to a historical uneven judicial response in this field (…) The almost systematic involvement of organised crime groups (notably in cross border VAT fraud) represents a major security issue."

  • la trop faible implication des organes européens :  "Over 70% of crime reports came from private parties, close to 27% from national authorities, and less than 1% from OLAF. Obviously, institutions, bodies, offices and agencies of the EU need to step up the detection and reporting of suspicions of fraud to the EPPO". 

  • la faiblesse de l’architecture anti-fraude de l’UE :   "For example, how is it possible that organised crime groups were able to develop VAT fraud to an industrial level, despite all the antifraud strategies, auditing and reporting?"

  • le nécessaire renforcement du Parquet européen :  "Is EPPO well equipped? Is Europol well equipped? Are there dedicated and specialised investigators from police, tax administrations and customs assigned to support EPPO’s investigations in all the participating Member States? Currently, the answer to each of these questions is ‘no’."


De fait, dans chacun des rapports précédents, Mme KÖVESI s’est efforcée de souligner à la fois la gravité du phénomène de fraude affectant les intérêts financiers de l’UE - qui sont aussi ceux des contribuables européens (2). Ce faisant, elle se heurtait à la relative indifférence des responsables des intérêts financiers nationaux - mais aussi à la réticence de la Commission, plus concernée par la distribution centralisée des crédits que par la fonction (ingrate) de contrôle de la régularité de leur usage sur le terrain (3).


Plus largement, une vaste étude sur l’architecture anti-fraude de l’UE (4) - effectuée à la demande du PE - concluait à la nécessité d’une profonde réforme d’un système trop complexe et fragmenté, établi au fil du temps et nécessitant une stratégie et une gouvernance mieux coordonnées et plus centralisées.


L’étude ajoutait que, dans la conception même de ce système, ce sont les États qui jouent le rôle central alors même que leurs structures et méthodes internes sont « assez hétérogènes » - en clair, souvent incapables voire peu motivées en matière de contrôle de l’usage des deniers européens.


On voit donc l’utilité et l’importance d’un nouvel organe tel que le Parquet européen, la nécessité de renforcer ses moyens et d’inciter les autres organes européens compétents à mieux coopérer avec lui et entre eux.


In fine, il convient de relever le rôle personnel particulièrement actif joué par Mme KÖWESI qui a non seulement bâti cet organe de toutes pièces mais a surtout réussi à lui conférer en un temps record une efficacité et une autorité reconnues. Son mandat non renouvelable de 7 ans s’achèvera en 2026. Il faut espérer que le Conseil saura nommer un successeur de même calibre.


À cette occasion, l’extension possible des compétences du Parquet à d’autres infractions pénales pourrait être envisagée. De même, dans le cas où les trois États membres non encore participants décideraient de rejoindre le Parquet, la transformation de cette « coopération renforcée » en une action commune de l’ensemble des États membres pourrait être décidée.


À l’heure où se précise la nécessité d’une considérable augmentation du budget de l’Union (notamment en matière de défense) et où se confirme l’opportunité d’une diversification de ses outils financiers (recours à l’emprunt) - il importe de remettre à niveau tout le système européen de contrôle budgétaire. La légitimité du rôle et de l’action ainsi décuplés de l’Union envers les citoyens électeurs et contribuables est à ce prix.



Jean-Guy Giraud

23 - 03 - 2025 

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