Les « maddening changes » du Président Trump, liés à l’influence de la blogosphère ...
Un long article du New York Times du 26 Janvier 2025 (1) énumère les « maddening changes » effectuées par le Président Trump en moins d’une semaine d‘exercice d’un pouvoir apparemment sans limites.
Au-delà des décisions prises dans le domaine de la « culture war » (notamment en matière de genre) ou d'immigration, l’article cite comme exemples parmi les plus « folles » les re-dénominations du Gulf of Mexico devenu Golf of America - mais aussi les « pardons » accordés au assaillants du Capitole, les purges massives dans l’administration et les agences, la ré-autorisation du site TikTok, etc …
Mais l’article insiste surtout sur les réactions désorientées du parti démocrate face à un tel déluge. Leur crainte serait motivée par le fait que toute contre-attaque pourrait se révéler contre-productive et risquerait de nourrir les attaques des réseaux sociaux qui auraient puissamment favorisé l’élection du Président et resteraient pour lui à la fois un levier de pouvoir et une source continue d’inspiration. De fait, le parti démocrate craint que Trump "will purposely “flood the zone” with maddening changes » .
En d’autres termes, le débat et la lutte politique classiques - basées sur des considérations idéologiques (au sens propre du terme) - se trouveraient dépassées et remplacées par une blogsphère envahissante et étouffante sans aucune règle, modération ni raison.
… sont le reflet d’un phénomène général : le Carnaval orchestré par les "ingénieurs du chaos » ...
Cet « exemple » américain est sans doute la manifestation extrême d’un phénomène beaucoup plus large affectant la plupart des démocraties libérales occidentales - phénomène dont l’ampleur commence à peine à être clairement identifiée et contre lequel, à ce jour, les responsables concernés n’ont pas trouvé de parade ni de frein vraiment efficaces.
À cet égard, il convient de citer un ouvrage prémonitoire intitulé « Les ingénieurs du chaos » (2). Il s’agit d’une enquête fouillée sur les spin doctors, idéologues et experts du Big Data qui utilisent les nouveaux outils informatiques dérivés de la physique quantique pour s’insérer dans le jeu politique au risque d'en changer les règles et d'altérer jusqu’au visage de nos sociétés (3).
L’ouvrage - concis mais dense - mérite une lecture complète et attentive. Nous n’en reprenons ici que la description générale et les conclusions.
Il retrace l’origine ancienne du phénomène populiste dans la tradition historique du Carnaval qui - en mettant le monde à l’envers - est l’occasion pour le peuple de renverser de manière symbolique et pour un temps limité toutes les hiérarchies instituées entre le peuple et les dominés.
Mais il ajoute que la frontière est ténue entre entre la dimension ludique et la dimension politique : la fête peut se transformer en révolte et, de fait, aucun pouvoir n’a jamais complètement réussi à se débarrasser du Carnaval et de son esprit subversif.
La différence est que, aujourd’hui, le Carnaval ne se situe plus aux marges de la conscience de l’homme moderne mais tend à acquérir - grâce aux réseaux sociaux - une centralité inédite se positionnant comme le nouveau paradigme de la vie politique globale. Les conflits fonctionnent sur ces réseaux parce qu’ils troquent des émotions fortes, des polémiques de l’indignation, de la rage qui génèrent des cascades de clics et une addiction auto-générée des citoyens-blogueurs.
Et ce Carnaval favorise l’émergence de leaders populistes : leurs défauts se muent en qualité - leur inexpérience est la preuve qu’ils n’appartiennent pas au cercle corrompu des élites - leur incompétence et leurs audaces constituent le gage de leur authenticité.
L'essentiel de l’ouvrage est ensuite une description/démonstration détaillées de ce phénomène dans plusieurs situations et cas précis de prises de pouvoir (ou de tentatives) de dirigeants populistes dans plusieurs pays : USA, Italie, Hongrie, Brésil ... et même en France (cf. les cas des partis extrémistes et de l’épisode des Gilets Jaunes).
À noter que l’ouvrage - écrit en 2019 - ne traite pas la question aujourd’hui brûlante de l’offensive délibérée et systématique du trollisme russe qui intervient de façon croissante dans la vie politique des démocraties occidentales et notamment européennes.
… Carnaval qui a - jusqu’ici - épargné Bruxelles
Jusqu’à ce jour, l'UE en tant que telle reste largement épargnée par ce phénomène. Son caractère d’objet politique mal identifié, la nature technico-bureaucratique et indirecte de son activité, l’absence de leader médiatique donnent peu de prise aux réseaux sociaux. Toutefois elle peut être affectée par des attaques dérivées des courants nationalistes/souverainistes opposés à son activité de normalisation ou, plus largement, à son objectif intégrationniste. De même, son implication récente dans des domaines d’ordre culturel (par exemple les questions de genre) peuvent l’exposer à la vindicte des réseaux.
Mais un risque réel d’intrusion des réseaux dans les débats européens peut se présenter lorsque une décision majeure relative à l’Union est directement ou indirectement soumise au vote des citoyens des différents États membres. Ce pourrait par exemple être le cas pour un referendum (ou même un vote parlementaire) relatifs à une révision des Traités, un nouvel élargissement, une modification des règles budgétaires, un durcissement des normes environnementales, etc ... Ce risque explique d’ailleurs la prudence croissante de certains gouvernements dans ces débats et, en conséquence, le report répété de ce type de décisions.
À séjour, c’est surtout le tissu associatif des ONG qui surveille en continu l’action de l’UE. Mais elles le font le plus souvent de façon raisonnée, articulée et responsable dans le respect des règles du débat démocratique. Si bien que le syndrome du Carnaval n’a pas encore infecté Bruxelles, signe d’ailleurs que la notion de « peuple européen » demeure embryonnaire dans l’opinion.
Notons - mais ce n’est pas le sujet de la présente note - que l’UE s’efforce au contraire d’ériger une digue pour atténuer le développement du Carnaval. C’est l’un des objectifs de son ambitieux Règlement Général pour la Protection des Données, précisément attaqué par les dirigeants populistes en place, notamment … aux États Unis.
Jean-Guy Giraud
28/01/2025
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(3) nous reprenons ici plusieurs passages de l'ouvrage
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