Le grand emprunt européen de 750 milliards euros (lancé par le Conseil européen du 20 Juillet pour financer le plan de relance économique NG-EU) sera-t-il ouvert aux particuliers?
Plus précisément, l’épargnant individuel pourra-t-il acheter ces “Eurobonds NG-UE” de la même façon qu’il peut acheter des bons du trésor nationaux (en France des OAT) ?
Pourra-t-il, par exemple, se présenter chez son banquier pour souscrire - directement et spécifiquement - à l’achat de, disons, 10 Eurobonds NG-UE à 100 euros chacun ?
Pourrait-on donc concevoir qu’une tranche limitée de cet emprunt - mettons 10% soit 75 milliards - soit expressément réservée sous cette forme à l’épargne privée ?
Probablement pas, pour les raisons résumées plus bas.
Les arguments en faveur d’un "emprunt populaire européen"
Mais ceci n’empêche pas d’imaginer quels seraient les avantages d”une tel mécanisme du point de vue du lien psychologique qu’il établirait entre entre le citoyen-épargnant européen et le grand projet de relance européen.
Ce citoyen utilise déjà quotidiennement depuis 20 ans (du moins au sein de la zone euro) une monnaie commune, sûre et stable qu’il doit à l’UE - même si cet acquis et ce bénéfice précieux se sont progressivement banalisés.
L’ Eurobond NG-UE serait le pendant fiduciaire - cad sur le plan de l’épargne - de l’Euro monétaire/numéraire.
Facilement identifiable et accessible - parce que non fondu au sein de contrats ou de fonds multi-obligations plus complexes, moins transparents et moins fiables - l’Eurobond NG-UE serait aussi plus liquide et, possiblement, plus rémunérateur (1).
En l’acquérant, l”épargnant individuel aurait plus ou moins consciemment le sentiment d’établir un lien de confiance matériel, mutuel et durable avec l’”Europe” - tout en effectuant un placement de précaution particulièrement solide.
Lien qu’il partagerait - dans les mêmes conditions - avec l’ensemble des épargnants européens au sein du marché unique européen des capitaux. Et lien qui pourrait subsister et se normaliser pour des opérations successives du même type.
L’ Eurobond NG-EU ferait l’objet d’une campagne d’information trans-européenne adéquate et d’un prospectus unique. Son lancement et sa gestion seraient placés sous le contrôle direct de l’Autorité européenne des marchés financiers (AESM).
En résumé, une sorte d’”emprunt populaire” à l’échelle européenne - tel que les Etats en lancent épisodiquement sur le plan national, notamment en ces de crise économique.
Une fausse bonne idée ?
Les objections à une telle initiative sont multiples et sans doute rédhibitoires. Limitons nous à les énoncer ici de façon télégraphique :
elle semble pas n'avoir été à aucun moment envisagée par la Commission et le Conseil qui ouvrent la souscription de l’emprunt “aux marchés financiers”, de préférence “internationaux”,(2)
les modalités seront sans doute identiques à celles utilisées habituellement par la Commission (pour des opérations ponctuelles), par la BEI ou par les Trésors nationaux,
ces mécanismes sont en effet bien “rodées” et l’emprunt NG-UE se coulera facilement dans un moule auquel la profession est habituée et … intéressée,
le coût et la durée de mise place d’un “emprunt populaire européen” seraient sans doute du moins en apparence - supérieurs à celui d’une opération financière classique,
au vu du “miracle” politique que constitue l’accord du Conseil européen sur cette opération sans précédent, il convient d’éviter toute complication inutile,
la perspective (déjà) envisagée de rachat des Eurobonds par la BCE (prêteur en dernier ressort) auprès des investisseurs primaires s’en trouverait compromise,
etc ...
Au total, le grand emprunt NG-UE prendra sans doute sa place dans la série des opérations classiques d’émission de dette souveraine qui vont d’ailleurs se multiplier dans les prochains mois du fait des énormes besoins internationaux de financement causés par la crise. Il est d’ailleurs attendu par les investisseurs institutionnels de tous bords (notamment les Fonds privés européens et anglo-saxons) avec une gourmandise à peine dissimulée (3).
La petite place qui aurait pu être laissée à un emprunt de type populaire ne sera probablement pas même évoquée. La prudence, l’urgence et l’orthodoxie l’emporteront sans doute sur une “fausse bonne idée” encombrante.
Le premier grand emprunt européen se fera donc sans participation du grand public - lequel, il est vrai, sera surtout intéressé par ses retombées sur l’activité économique.
À moins qu’une modalité d’ingénierie financière ne soit trouvée pour établir un lien au moins indirect avec celui-ci…
Jean-Guy Giraud 07 - 08 2020
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(1) un taux de rendement légèrement supérieur à celui offert aux investisseurs institutionnels pourrait être envisagé
(2) Conclusions – 17, 18, 19, 20 et 21 juillet 2020 "A3. Afin de doter l'Union des moyens nécessaires pour relever les défis posés par la pandémie de COVID-19, la Commission sera autorisée à emprunter des fonds au nom de l'Union sur les marchés des capitaux. Le produit sera transféré aux programmes de l'Union conformément à Next Generation EU."
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