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Résumé :
L’UNION EUROPÉENNE FACE AU CAHOS AMÉRICAIN
LA NOUVELLE ADMINISTRATION DIRIGÉE PAR DONALD TRUMP PROVOQUE UN PROFOND BOULEVERSEMENT (UN QUASI-CAHOS) AU SEIN DU SYSTÈME POLITIQUE AMÉRICAIN.
CE DÉSORDRE EST SUSCEPTIBLE D’AFFECTER LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DES ETATS-UNIS ET DE DÉSTABILISER LES RELATIONS INTERNATIONALES.
L’UNION EUROPÉENNE POURRAIT ÊTRE IMPACTÉE À PLUSIEURS NIVEAUX - NOTAMMENT SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE.
SES LIENS ÉTROITS AVEC LES ÉTATS-UNIS LIMITENT SA CAPACITÉ DE RÉACTION ET L’INCITENT PLUTÔT À RECHERCHER APAISEMENT ET COMPROMIS.
SI NÉCESSAIRE ELLE DISPOSE DE DIFFÉRENTS MOYENS DE PROTECTION VOIRE DE REPRÉSAILLES.
MAIS LA QUESTION MAJEURE EST : SERA-T-ELLE CAPABLE D’ADOPTER UNE POSITION COMMUNE DANS UN CONFLIT AVEC LES ÉTATS-UNIS ?
Le chaos domestique et international créé par l’Administration Trump
Le chaos domestique
En moins de 3 semaines, l’Administration Trump a amorcé depuis le 20 Janvier 2025 une véritable entreprise de démolition de pans entiers de la structure constitutionnelle et institutionnelle des États-Unis.
Une série décisions quasi-quotidiennes - véritables oukases présidentiels - ont bouleversé le fonctionnement de nombreux départements et agences : suppression de services entiers, intrusion dans leur fonctionnement, blocage de leur financement, renvoi de leurs dirigeants, mises à pied de centaines d’agents, etc … Une sorte de stratégie du chaos - assimilée à l’usage d’une « wrecking ball », basée sur la rapidité, l’inondation et l’écrasement, créant stupeur et paralysie dans de nombreux organes fédéraux y compris les plus névralgiques comme le Trésor, l’Office du budget, la CIA, le FBI, le Bureau de protection des consommateurs, etc …
Cette prise en mains unilatérale, expéditive et extensive du pouvoir présidentiel remet en cause l’ordre constitutionnel américain basé sur la répartition et l’équilibre des pouvoirs exécutif, parlementaire et judiciaire. Elle marginalise en particulier le rôle du Congrès en outrepassant ses fonctions législative et budgétaire et en annihilant son contrôle sur l’action du Président.
Au total, une situation inusitée de chaos administratif, de crise constitutionnelle et de suspension de l’État de droit sans précédent dans l’histoire de la République américaine.
Le chaos international
L’Administration Trump fait preuve de la même brutalité et du même mépris des règles dans son action extérieure : diplomatie, défense, gestion des conflits, droit et organisations internationales, commerce …
Son exercice disruptif de la politique étrangère substitue une pratique primitive du « deal » - réduit à sa plus simple expression - à celle de négociations diplomatiques prenant soigneusement en compte la gravité, la complexité et la fragilité des situations et des conflits. Les cas de l’Ukraine et de Gaza sont les plus frappants : les accords proposés l’Administration Trump sont basés sur une sorte de troc marchand où l’acquisition de matières premières (Ukraine) et la création d’un complexe touristique (Gaza) constituent l’élément principal du deal. De même, les surprenantes intentions de main mise territoriale sur le Groenland ou sur Panama sont ouvertement inspirées par des motifs économiques. Propositions et intentions accompagnées de menaces de rétorsion basées sur la puissance économique et financière américaine, sur sa politique tarifaire et sur son pouvoir « extra-territorial ».
À l’instar de son rejet de tout contre-pouvoir interne, l’Administration Trump souhaite s’affranchir de toute contrainte internationale - qu’il s’agisse d’accords (Chartes, Traités) ou de participation à des organisations mondiales ou régionales. Elle a ainsi annoncé son retrait de l’accord de Paris ou de l’OMS . Elle maintient le blocage du fonctionnement ou du financement de l’OMC ou de l’UNESCO, s’oppose directement à l’UNWRA ou à la CPI, etc… D’autre part, la prise mains du Trésor et sa gestion imprévisible par l’Administration font courir le risque d’une rupture de la confiance des détenteurs étrangers d’obligations souveraines américaines et donc d’une éventuelle crise financière internationale.
De même, elle remet en cause le rôle et la politique des États-Unis dans les deux domaines névralgiques du climat ou de l’aide au développement. En particulier, le blocage des financements de l’agence de l’USAID provoque, au niveau mondial, une réduction sensible de l’aide humanitaire.
Plus préoccupant encore pour l’Europe, elle affaiblit la crédibilité de l’Alliance Atlantique en menaçant de réduire sa contribution militaire et financière à l’OTAN et en traitant directement avec la Russie sans consulter ni associer ses partenaires européens.
Au total, c’est une nouvelle conception westphalienne et impériale des relations internationales qui se met en place - caractérisée par l’exercice unilatéral de la politique étrangère nationale, privilégiant les rapports de force directs d’État à État et s’affranchissant de toute contrainte liée à des accords, alliances, organisations ou règles internationaux.
L’UE face au chaos américain : impact et réaction
L’impact économique et stratégique
Le chaos créé par l’Administration Trump met soudainement et cruellement en évidence la dépendance de l’UE face aux États-Unis. L’étroite et croissante imbrication des économies américaine et européenne (flux commerciaux de biens et services - relations financières et monétaires - investissements croisés - réseaux informatiques, etc) dans laquelle la puissance américaine joue un rôle dominant rend l’Europe particulièrement vulnérable à une soudaine offensive unilatérale de son « partenaire ». Cette domination est plus évidente encore sur le plan stratégique, notamment au sein de l’OTAN où c’est le poids militaire des États-Unis qui assure en réalité la dissuasion et la protection de l’Europe.
Si cette relation asymétrique structurelle USA/UE a pu, jusqu’ici, être gérée de façon plutôt rationnelle et pacifique - la situation a été radicalement modifiée par l’Administration Trump. Celle-ci manifeste, de façon surprenante, une hostilité toute particulière vis à vis de l’Union européenne en tant que telle. Au delà du reproche légitime relatif au déséquilibre des échanges commerciaux, elle critique et conteste l’existence même d’un bloc économique européen et exige de ne traiter séparément, d’État à État, qu’avec chacun de ses membres. L’UE est « méchante » non seulement par nature mais aussi de par certaines de ses politiques : abus de réglementation, protectionnisme, militantisme climatique, développement de thèses wokistes, etc …
D’autre part, l’UE ne saurait prétendre jouer un rôle stratégique du fait de la faiblesse de la capacité militaire de ses États membres et, en toute hypothèse, de son incapacité à concevoir et mettre en oeuvre une politique commune de défense crédible. Si bien qu’au final ce sont les États-Unis qui « payent » pour assurer sa sécurité en Europe même. Pour toutes ces raisons, l’Administration Trump estime que l’UE n’a pas vocation à jouer un rôle de premier plan dans le traitement et la résolution des conflits internationaux tels que l’Ukraine ou la Palestine.
La réaction européenne
En matière économique, l’UE dispose de différents instruments de résistance voire d'opposition à des décisions jugées agressives de tout État tiers. Le principal outil est d’ordre commercial : elle peut rapidement et efficacement répliquer à des hausses de tarifs douaniers ou à d’autres mesures restrictives. Elle possède dans ce domaine une compétence directe (« exclusive ») permettant à la Commission d’agir avec rapidité et de façon ciblée, c’est à dire calibrée en fonction de la nature et de l’intensité de l’ « attaque ». Elle dispose également de toute une batterie d’outils réglementaires pour neutraliser les effets dommageables induits par des législations extérieures par exemple en matière de régulation des réseaux informatiques, de normes sanitaires ou environnementales, de règles anti-subventions, de contrôle des investissements étrangers, etc …
Depuis … décembre 2024, l’UE possède d’un nouvel instrument de défense « mixte » qui combine les aspects économiques et stratégiques d’une éventuelle réaction européenne. Ce « mécanisme anti-coercition » permet à l’Union de prendre des contre-mesures à l’égard d’un État tiers en cas de pressions économiques délibérées et avérées affectant la sécurité économique de l’UE ou d'un de ses États membres. Ces mesures peuvent être prises par la Commission suite à un accord de principe donné par le Conseil (à la majorité qualifiée). (1)
À ce jour (14/2/24), l’ Administration Trump n’a pas adopté de décisions véritablement agressives vis à vis de l’UE - contrairement par exemple à l’imposition de tarifs douaniers punitifs à l’encontre de ses deux voisins canadien et mexicain. Mais la forte probabilité de prochaines mesures à son encontre amène à poser la question de son éventuelle réaction.
L’UE semble avoir adopté jusqu’ici une attitude prudente et attentiste. Face à l’imprévisibilité quasi-émotionnelle de l’Administration Trump et de sa tactique de « poker-menteur », les Institutions et les États membres privilégient une stratégie d’« appeasement ». Cette Administration est en effet issue d’un vote populaire majoritaire, dispose d’une majorité parlementaire et bénéficie du soutien d’une large partie de l’opinion. En dépit des excès soulignés ci-dessus, les contre-pouvoirs internes de la justice, de la presse ou de la société civile ne se sont guère manifestés. De sorte que toute réaction jugée hostile de la part de l’UE risquerait d’être qualifiée d'« anti-américaine »et ne ferait qu’aggraver le climat général des relations transatlantiques. D’autre part, les États-Unis demeurent une démocratie électorale : des élections législatives auront lieu en Novembre 2026 et le mandat non renouvelable du Président Trump prendra fin en janvier 2029 : d’ici là - ou à ces échéances - la situation volatile actuelle pourrait se stabiliser.
Surtout, l’Europe doit tenir compte des répercussions géo-politiques d’un éventuel conflit économique caractérisé sur l’évolution autrement préoccupante de la question ukrainienne (non directement abordée dans la présente note). Dans ces circonstances, le maintien au moins apparent d’une solidarité atlantique peut être jugé prioritaire.
Enfin, la situation interne au sein des Institutions (en pratique au sein du Conseil Européen) ne se prête guère à de fortes réactions européennes. De fait, les positions des 27 Etats membres vis à vis des États-Unis en général et de l’Administration Trump en particulier sont assez divergentes tant en raison de la disparité de leurs liens économiques particuliers avec les USA que des positionnements politiques, idéologiques et géo-stratégiques des gouvernements en place. Et il se trouve que le conflit ukrainien ne fait qu’accentuer fortement ces disparités. Dans ces circonstances, il revient principalement à la Commission - si nécessaire poussée par le Parlement - de juger de l’opportunité de contre-mesures économiques plus ou moins énergiques pour défendre les intérêts tant de l’UE dans son ensemble que de ses États membres individuellement.
Avec quelque exagération, des commentateurs ont pu déclarer que l’UE se trouve dans la situation d’ « un lapin aveuglé par les phares trumpiens » … Toutefois, son désarroi n’est qu’à la mesure de l’imprévisible chaos provoqué - y compris en son sein - par cette Administration. Elle dispose cependant, le cas échéant, de certains moyens de protection - voire de rétorsion - à la fois opérationnels, modulables et graduels. Mais, répétons-le, c’est la « big picture » du conflit ukrainien qui domine la scène. Si une perspective de solution durable et acceptable par toutes les parties (y compris ukrainienne ) devait se dessiner - même en l’absence de participation directe de l’UE - la dispute économique transatlantique pourrait être gérée dossier par dossier et aboutir à un compromis de moindre mal dans l’intérêt réciproque des deux parties.
Jean-Guy Giraud
14 - 02 2025
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