La situation politique et sociale s’aggrave de jour en jour en Géorgie. Le régime pro-russe en place - conforté par des scrutins entachés d’irrégularités - renforce son emprise sur le pays. Des manifestations massives et récurrentes pro-européennes sont réprimées avec une violence accrue.
La situation personnelle de la Présidente Salomé Zourabichvili - qui persiste à refuser de reconnaitre la légitimité du nouveau Président - est de plus en plus menacée. Forcée à quitter sa résidence présidentielle mais résolue à demeurer aux côtés des manifestants, elle risque à tout moment une arrestation ou une atteinte à son intégrité physique.
Face à une telle situation confrontant un pays lié à l’UE par un accord d’association et candidat à l'adhésion, la faiblesse de la réaction européenne est pour le moins surprenante.
Ni la Présidente de la Commission ni la Haute Représentante ni le Président du Conseil européen n’ont clairement mis en cause la légitimité des nouveaux dirigeants, condamné ouvertement la répression des manifestants ni affiché officiellement leur soutien à la Présidente.
Le Conseil des Affaires Étrangères - bloqué par les habituels fauteurs de vetos - n'a même pas été en mesure d’adopter les timides propositions de sanctions d’ordre diplomatique proposées par la HR.
Les réactions nationales des principaux États membres (y compris de la France dont la Présidente Salomé Zourabichvili est une ressortissante) ont été plus que mesurées. Les ministres des affaires étrangères de 15 États membres (excluant l’Italie et la plupart des États du centre et de l’est de l’UE) ont toutefois adopté une déclaration dans laquelle ils affirment : « We stand in this difficult time at the side of Georgians (…) The violations of electoral integrity (…) are a betrayal of the Georgian people’s legitimate European aspiration » Seuls les États baltes de l’UE ont décidé des mesures unilatérales de rétorsion ainsi que … les États-Unis et le Canada.
Le Parlement européen a pour sa part réagi plus énergiquement en adoptant - en présence de Salomé Zourabichvili - une résolution condamnant le détournement des scrutins et demandant la prise de sanctions par l’UE envers le Premier ministres et les hauts responsables géorgiens.
Comme l’écrit The Economist du 18/12/24 commentant le rejet de sanctions par le Conseil : « If you needed an emblem of the EU’s shameful weakness in the face of autocracy, that would be hard to beat ». Et comme le constate cyniquement un ancien diplomate français : « Nous ne pouvons rien faire pour la Géorgie au-delà de déclarations émouvantes et de sanctions inefficaces, et nous ne ferons rien » (Gérard Araud) (1) .
On s’interroge donc sur la retenue inhabituelle de l’Europe face à la crise géorgienne alors que le drapeau européen est brandi par une foule en résistance à l’oppression et très majoritairement (80%) favorable à l’adhésion à l’UE. Certains des motifs hypothétiques les plus souvent évoqués peuvent être ainsi résumés dans le désordre : :
l’évolution imprévisible de la situation interne en Géorgie justifierait une classique position diplomatique de « wait and see »,
l’emprise du nouveau régime géorgien sur l’appareil d’État aurait déjà atteint un point de non retour, éliminant toute chance de rétablissement prochain d’un ordre démocratique,
les intérêts géostratégiques (y compris économiques) de l’UE et/ou de certains de ses États membres dans la région devraient être pris en considération,
il conviendrait d’éviter toute initiative pouvant provoquer et justifier une réaction hostile - voire une intervention directe - de la Russie,
l’UE devrait dans l’immédiat concentrer ses efforts sur la résolution du conflit ukrainien,
les perspectives d’adhésion de la Géorgie (comme de la Moldavie) pourraient être perçues comme une extension hasardeuse du périmètre européen vers l’Est caucasien (« An other member state too far east »).
Quoiqu’il en soit, il faut espérer que les hésitations européennes ne conduisent pas les responsables géorgiens à accroitre la répression en cours. Dans un tel cas - répétons le - ce serait le sort personnel de la Présidente Salomé Zourabichvili - figure emblématique de la résistance populaire pro-européenne - qui se trouverait en premier lieu mis en danger. Une issue dramatique entacherait durablement l’image et l’influence de l’Europe dans toute la région.
Jean-Guy Giraud
30 - 12 - 2024
(1) Allusion à la réflexion de Claude Cheysson « Bien entendu, nous ne ferons rien » en décembre 1981 le jour du putsch de Jaruzelski en Pologne.
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