Le double défi du nombre et de la diversité
La perspective de nouveaux élargissements de l’UE (notamment, mais non exclusivement, à 6 nouveaux États des Balkans) doit amener l’Union à s’interroger sur sa capacité à poursuivre le développement de ses activités communes à un rythme compatible avec son projet politique général visant à “faire progresser l’intégration européenne" dans le cadre d’ "une union sans cesse plus étroite des peuples européens” (Préface du TUE).
On sait en effet que les élargissements successifs de l’UE - notamment depuis 2004 - ont considérablement accru “le nombre et la diversité des États membres", ainsi que l’avait relevé le Président Valérie Giscard d’Estaing lors de l’ouverture de la Convention sur le projet de constitution européenne de 2002.
Depuis cette date - et en dépit des réformes apportées par le Traité de Lisbonne - ce double défi ne semble pas avoir été véritablement surmonté ni même reconnu alors même que les prochains élargissements vont le rendre toujours plus prégnant dans la vie quotidienne de l’Union.
Par une sorte d’ ”effet d’accordéon”, le centre géo-politique de l’UE se déplace progressivement vers l’Est et le Sud-Est du continent - au moment même où le Royaume Uni - l’un de ses principaux points d’ancrage à l’Ouest - se détache du bloc européen.
Ce décalage “tectonique” a des implications de diverses natures dans les domaines institutionnel, économique, budgétaire, stratégiques, etc …(voir ici ).
Les risques de blocage de l'UE
Mais il est aussi aggravé par la difficile mise à niveau des nouveaux - et sans doute des futurs - États membres dont l’évolution politique interne s’avère cahotique, imprévisible et pré-occupante. D’autant plus que cette évolution s’accompagne d’un euro-scepticisme croissant de certains des dirigeants concernés entrainant celui d’une partie des opinions nationales. Et que des situations comparables peuvent également se développer dans certains “anciens" États de l’UE.
Ce phénomène a pour effet de ralentir - voire de bloquer dans certains cas - le développement harmonieux des politiques et actions prévues par le Traité et donc de compromettre le projet européen originel dans son ensemble.
Des mécanismes palliatifs insuffisants
Certes, le Traité prévoit divers mécanismes permettant de pallier - au moins partiellement - à l’insuffisante coopération de quelques États (ou plutôt gouvernements). Certaines avancées peuvent être étalées dans le temps ou adaptées à des situations nationales particulières. De même, la procédure de “coopération renforcée” permet à un groupe d’États de progresser dans quelques domaines sans attendre les autres.
Mais, au total, l’efficacité de ces mécanismes s’avère en pratique limitée. Et, surtout, ils ne sauraient compenser les effets d’attitudes générales clairement non-coopératives développées sur certains sujets par quelques États membres.
Dès lors se pose - plus que jamais auparavant - la question des moyens permettant de pallier à cette progressive paralysie de l’Union.
La voie intergouvernementale ...
La principale alternative est celle de la voie “inter-gouvernementale” - qui n’a d’ailleurs rien de nouveau mais qui présente de nombreux risques politiques et techniques au regard de l’unité et de la solidarité au sein du bloc.
Le champ potentiel de cette voie est de fait assez large.
Le Traité laisse en effet la liberté à des États (Gouvernements) de coopérer entre eux dans tous les domaines non expressément réservés ou couverts par ses dispositions. C’est à dire tous ceux où la compétence de l’Union n’est pas “exclusive” (1) - mais aussi ceux où cette compétence est partagée (2) entre Union et États. D’autre part, des États peuvent, isolément ou par groupes, prévoir des mesures d’application des politiques communes plus ambitieuses que celles fixées par la norme européenne.
Et ils peuvent, bien entendu, coopérer à leur guise dans tous les cas non prévus par le Traité - en s’associant même le cas échéant avec des Etats tiers (comme …le RU).
Tout ceci à condition que les accords ou pratiques intergouvernementales n’entravent pas le développement de l’action de l'UE.
… utile mais risquée
Cette liberté est déjà assez largement utilisée par quelques États membres dans divers secteurs tels que la politique étrangère et de défense, la coopération judiciaire, l’environnement, la fiscalité, l’immigration, les questions socilales, etc …
Si cette voie intergouvernementale - en parallèle ou en complément à l’action communautaire - est assurément bénéfique dans bien des cas, elle comporte tout de même certains risques et limites.
Les risques sont ceux de la dispersion et de l’hétérogénéité des initiatives qui peuvent nuire à la lisibilité de la politique “européenne”. Mais aussi - surtout ? - le danger de fragmentation de facto du bloc entre ses différentes composantes géographiques (Nord/Sud - Est/Ouest).
Les limites sont celles de la préservation de la cohésion, de l’unité, de la solidarité et de l’intérêt général au sein de l’ensemble.
Une problématique à assumer
Cette problématique - déjà largement commentée par la doctrine - n’a pas jusqu’ici été clairement posée et analysée par les Institutions et les États. Elle fait certes l’objet d’une surveillance juridique de la part de la Commission et, éventuellement, de la Cour de justice européenne. Mais ce développement foisonnant de pratiques intergouvernementales gagnerait à être mieux relié au système communautaire et même encadré par celui-ci de quelque manière. Notamment sous l’angle du contrôle démocratique que le Parlement européen ne peut, par nature, assumer.
La question est complexe mais incontournable. Il est peut-être temps de l’affronter globalement, ouvertement et officiellement.
Jean-Guy Giraud 26 - 01 - 2020
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