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ÉLARGISSEMENT DE L’UE : LE TOBOGAN ET L’ACCORDÉON



La proposition de la Commission von der Leyen d’ouvrir officiellement en 2020 des négociations d’adhésion à l’UE de l’Albanie et de la Macédoine du Nord a provoqué un débat au sein du Conseil européen du 18 Octobre 2019. Sur l’insistance de trois États membres, la décision a été reportée au moins jusqu’au sommet du Mai 2020. 

La France a, pour sa part, considéré que le processus d’adhésion - tel que pratiqué jusqu’ici - devait être modifié avant tout nouvel élargissement de l’UE et a présenté des propositions précises à cet égard.  Ce “blocage” - au moins provisoire et conditionnel - a provoqué l’ouverture d’un débat plus général sur l’opportunité de poursuivre une "stratégie d’élargissement" mise à mal par l’expérience de l’adhésion quasi simultanée de dix nouveaux États en 2004/2007 puis de la Croatie en 2013 -  issus (sauf deux) d’anciens pays du bloc communiste d’Europe de l’Est. En effet, aux candidatures de l’Albanie et de la Macédoine du Nord devraient s’ajouter à moyen terme celles des quatre autres pays des Balkans - voire, à plus long terme, celles d’au moins trois pays du Partenariat oriental. C’est donc en réalité la perspective d'adhésion à l’UE de neuf nouveaux pays - tous également issus du même bloc communiste - qui est ouverte par la question de l’Albanie et de la Macédoine.

Trois voies possibles Cette perspective d’une UE 33 - voire UE 36 - conduit, encore un fois à examiner les trois choix possibles de l’Union :

  1. persévérer dans la voie de la stratégie suivie jusqu’ici basée sur l’ouverture de l’UE à “tout État européen qui respecte les valeurs de l’Union” (article 49 TUE) en utilisant les mêmes méthodes de négociation,

  2. recourir à des formules alternatives d’accords d'association rapprochant plus étroitement l’Union et les États éligibles - sans les intégrer institutionnellement dans l’UE,

  3. poursuivre l’élargissement de l’UE mais selon des modalités différentes de négociation. 

La première voie est, de facto, celle préconisée par la Commission, le Parlement et sans doute une majorité des États de l’UE 27. La deuxième - soutenue un temps par certains États membres dont la France - n’a jamais été sérieusement examinée et ne semble pas devoir l’être d’avantage aujourd’hui.  La troisième est à présent en débat suite notamment à la prise de position française sur les candidatures de l’Albanie et de la Macédoine.  Deux questions lourdes

On sait donc que la proposition de la France vise à remplacer la procédure actuelle d’adhésion par un mécanisme nouveau plus graduel, plus exigeant et réversible (1). Mais le débat sur ce mécanisme lui-même - qui aura lieu dans les toutes prochaines semaines - pourrait être assorti de deux questions plus “lourdes” politiquement : La première consiste à déterminer si l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord doit être conditionnée par la modification préalable de la procédure - ou bien si elle ne s’appliquerait qu’aux candidatures suivantes. Étant donné que ces négociations - quelle qu’en soit la forme - dureront plusieurs années, on voit mal pourquoi il faudrait attendre les prochaines candidatures pour les mettre en oeuvre. D’autre part, cela risquerait d’être ressenti comme une regrettable inégalité de traitement envers les pays suivants du groupe.   La Commission, le Parlement et plusieurs États membres (dont l’Allemagne) semblent toutefois être opposés à cette conditionnalité et désireux d’ouvrir au plus vite ces négociations sur les bases de la procédure actuelle. Le principal argument serait d’une part de fortes hésitations sur la nécessité de modifier le système en vigueur - et d’autre part le retard et les incertitudes qui seraient ainsi causées pour les deux pays concernés.   La deuxième question concerne l’UE elle-même : l’ouverture d’un nouveau round d’élargissement à un nombre potentiellement important de nouveaux États - par ailleurs assez éloignés des standards européens de toute nature - ne devrait-elle pas être précédée d’un examen attentif, jamais effectué jusqu’ici, de "la capacité de l’Union à intégrer de nouveaux membres” (2) … En particulier sur le plan de la gouvernance de l’UE cad de son système institutionnel dont la réforme éventuelle est d’ailleurs envisagée dans le cadre de la “Conférence sur le futur de l’Union”qui s’ouvrira en Janvier 2020. Ajoutons ici que la “démocratisation” du processus décisionnel de l’UE - leitmotif de la Conférence - exigerait que la question de la stratégie d’élargissement futur de l’UE figure en tête de liste du programme de la Conférence. En effet, de larges pans de l’opinion publique européenne n’adhèrent plus à cette stratégie sur laquelle ils n’ont jamais été vraiment consultés. Nul doute qu’un tel sujet leur semblerait plus pertinent pour le débat public que, par exemple, l’éventuelle confirmation du système du SpitzenKandidat … La France, le “tobogan" et l’”effet d’accordéon" L’affaire s’annonce fort délicate : la France devra affronter non seulement la Commission (en particulier la Présidente et le commissaire hongrois à l’élargissement) mais aussi une forte majorité au sein du Parlement (conduite par le PPE et plus particulièrement sa composante allemande) ainsi qu'une majorité des membres du Conseil (dont l’Allemagne). Elle va se heurter à une doctrine bien établie qui a pu être qualifiée de "pensée unique” ou de “religion de l’élargissement” - doctrine ayant abouti à l’édification d’une sorte de “tobogan” sur lesquels sont placées à tour de rôle les candidatures de "tout État européen qui respecte les valeurs de l’Union”.  Par une fâcheuse coïncidence, ce débat sur la poursuite de l’expansion de l’UE toujours plus avant sur les anciennes terres communistes s’ouvrira au moment même où le départ du RU affaiblira fortement son ancrage à l’Ouest du continent. Si les conséquences possibles de cet “effet d’accordéon” (3) sont certes difficiles à mesurer - notamment sur le plan géo-stratégique - elles mériteraient cependant que l’on s’y arrête quelque peu, ne serait-ce que pour demander - enfin - leur avis aux citoyens européens. Jean-Guy Giraud  10 - 01 - 2020  ___________________________  (1) voir ici le détail de la proposition française : https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/élargissement-de-l-ue-qui-veut-voyager-loin (2) voir https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/les-balkans-vers-une-inflexion-de-la-politique-d-élargissement-de-l-ue (3) voir https://www.lesamisdutraitedelisbonne.com/post/l-ue-dans-l-accordéon

*L'illustration date de 2016.

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