
L’Assemblée nationale va - tardivement - tenter une nouvelle fois de s’accorder sur le projet de budget 2025. Depuis plusieurs mois, la fièvre des débats parlementaires fait craindre d’une part un blocage politique interne entrainant une prise en mains de l’exécutif (article 49§3) - et d’autre part le vote d'une motion de censure du Gouvernement. Â
Au delà des motifs idéologiques, cette fièvre semble être attisée par un autre facteur : l’influence des réseaux sociaux sur la nature des débats.Â
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Dans une précédente note, nous avions repris une analyse générale du rôle de ces réseaux (la blogosphère) - sur la vie politique dans les démocraties occidentales : « le Carnaval des trolls » (1).Â
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Un plus récent article publié par TELOS (2) - intitulé « La fièvre parlementaire : colère, politisation et politique TikTok à l’Assemblée nationale » - explique comment l’Assemblée nationale est aujourd’hui devenue « une scène de spectacle où les députés cherchent à capter l’attention de leurs followers bien plus que celle de leurs collègues ou des journalistes » .Â
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Cette étude est basée sur une méthode d'analyse textuelle et d’intelligence artificielle illustrant la métamorphose de l’Assemblée nationale à partir d’une analyse des … deux millions de discours prononcés entre 2007 et 2024.Â
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Elle démontre comment « l’ancien monde politique, marqué par l’alternance au pouvoir entre la gauche et la droite qui rythmait les débats parlementaires, a laissé place au nouveau monde. Celui-ci se caractérise par la fragmentation des partis et une polarisation très forte des débats à l’Assemblée depuis 2017. Cette polarisation a été exacerbée par l’irruption des réseaux sociaux dans l’antre de notre démocratie. »
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En résumé : « les normes comportementales imposées par les réseaux sociaux ( colère surjouée, discours de plus en plus courts, interruptions incessantes) surpassent les incitations institutionnelles ». Les élus, notamment  populistes, « surfent sur la colère des électeurs, adaptant leurs interventions à la logique des plateformes numériques, où les affects dominent les idéologies. » Â
Et les auteurs de s’interroger in fine sur les conséquences de cette dérive : « Cette évolution interpelle quant à l’avenir de la démocratie représentative et le caractère encore gouvernable de notre pays, y compris avec des réformes institutionnelles (par exemple la proportionnelle). »Â
Dérive susceptible, selon eux, de « transformer durablement les pratiques parlementaires et, avec elles, la manière dont les Français conçoivent le débat public et la gouvernance collective, et de renforcer toujours un peu plus leur défiance envers le politique. »Â
Cette analyse préoccupante devrait toutefois être tempérée par quelques observations :
le désordre parlementaire est dans une large mesure le reflet de réelles tensions et divisions politiques et sociales présentes au sein de la population,Â
l'« autre » chambre parlementaire - en l’occurence le Sénat - semble peu affectée par ce phénomène et conserver son rôle traditionnel de « chambre de réflexion »,
dans les deux enceintes, le travail législatif de base est effectué de façon plus sereine et professionnelle par les commissions qui parviennent généralement à saisir les plénières de textes susceptibles de guider leurs débats et leurs votes.Â
la responsabilité de la dérive peut être, dans une large mesure, imputable aux partis et groupes politiques qui assurent insuffisamment la nécessaire direction et discipline de leurs membres.Â
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Le proche avenir nous dira jusqu’où conduira la crise actuelle, si la dérive en cours peut être maitrisée et si « la sagesse collective de l’Assemblée » l’empotera en définitive sur la blogosphère. Dans le cas contraire, on voit mal comment de nouvelles élections anticipées (au cours desquelles les réseaux vont sans doute se déchainer) pourraient rétablir un minimum d’ordre et d’efficacité législative.  Â
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Jean-Guy GiraudÂ
02 - 02 - 2025
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